Le Grand
départ est un épisode emblématique de la vie de Bouddha, elle marque le passage
de l’état de prince à celui de jeune mystique errant. Il est représenté sur
notre peinture cambodgienne du XVIIIe siècle (961.3.305 – Legs
Fauverge de French).
Cette œuvre
est une peinture sur toile. Elle a connu une restauration importante et lente
en étant décollée de son ancien support en carton. De façon traditionnelle les
pigments utilisées sont naturels (plantes, terres, pierres de couleurs).
Le bleu,
comme en Thaïlande, est de la poudre de lapis-lazuli de provenance chinoise.
Pigment cher et rare, sa présence indique l’importance de l’œuvre, le niveau de dévotion du commanditaire et
donc de sa richesse. Les parties dorées
sont très certainement réalisées par le biais de la technique de l’encollage des lamelles d’or plus commune que l’utilisation de la peinture or.
Cet encollage se réalise par deux techniques soit avec de la résine de rovea
filtrée ou bien avec du jus d’ail.
Ici les
particularités esthétiques, techniques et analytiques de la peinture
cambodgienne rendent ce tableau précieux au regard de nos collections bouddhiques.
Ainsi, sa composition le rend extraordinaire, puisqu’il présente deux scènes très éloignées dans la chronologie de la geste
bouddhique : Le Grand Départ et le Séjour au ciel d’Indra auprès des trente-trois dieux. Ces scènes ne sont pas secondaires,
elles font parties du corpus classique de la représentation de la vie de
Bouddha, deux moments clés de l’évolution du prince à l’Eveillé puis accepté par l’assemblée des Dieux.
Enfin, un
rappel est nécessaire afin de faciliter la compréhension de cette œuvre. Les
éléments religieux qui constituent les premiers siècles de la civilisation
khmère étaient ceux de la religion brahmanique (forme ancienne de l’hindouisme), les sites archéologiques de la civilisation angkorienne
rappellent cette réalité historique, les représentations de dieux, aujourd’hui hindous pour exemple Siva/Shiva,
Vishnu ou Brahma, sont courantes. Le bouddhisme lors de son implantation au
Cambodge (XIe – XIIe siècles), comme dans l’ensemble des pays d’Asie, s’est adapté au contexte sociétal,
politique et religieux. Les anciennes divinités ont intégré le bouddhisme et
ces représentations ne sont que le reflet de cette continuité religieuse, de
cette réalité historique.
Le Grand
départ est dans la partie basse de l’œuvre, elle occupe un quart de la toile.
Cette représentation du Grand départ est constituée de trois temps.
1. La scène à droite en bas de la toile figure un
ensemble de bâtiment encerclé par un mur d’enceinte. En transparence nous
voyons dans le bâtiment le plus à droite, une femme couchée ; à ses côtes
un nourrisson. Sur la gauche un homme portant l’habit de prince se trouve dans
l’embrasure de la porte. Un cheval et un écuyer lui font face dans la cour. En
bas de cette scène, une nouvelle fois en transparence, deux hommes torse-nus
sont endormis, les portes du mur d’enceinte sont ouvertes.
Cette
représentation de la première phase du Grand départ est très explicite, le
jeune Siddhartha, identifié par sa tenue princière, a décidé d’abandonner femme et enfant et de quitter clandestinement le palais avec l’aide de son fidèle écuyer Chandaka et sa monture Kanthaka. Palais endormi comme par magie, les portes ouvertes et laissées sans
surveillance, les gardiens, l’épouse et
son fils Rahula sont plongés dans le sommeil du juste.
2.
La seconde
partie du récit visuel du Grand Départ, se trouve en bas à gauche dans la
continuité et sur le même plan que la précédente scène. Nous retrouvons le
jeune Prince dans la forêt sur son cheval, son écuyer à ses côtés, le palais
derrière eux. Il fait face à un être vert, son corps est humain mais sa tête
est ronde et grosse, une bouche lippue avec des canines prédominantes.
C’est Mara, le démon de la mort et
donc responsable de l’enchaînement des vies dans le Samsara. Puissance tentatrice, il règne en démon
puissant sur les créatures vivantes. Son apparition sur cette œuvre l’identifie comme l’adversaire principal de Siddhartha. Il tente de l’arrêter. Mais, ici ce n’est que la première rencontre, chacun se
repoussant par le biais d’un geste de
la main signifiant l’absence de crainte. Les ennemis se sont identifiés
et se toisent.
3.
Au-dessus des
deux premières scènes, une assemblée de personnages entourée de fleurs siège
dans le ciel. Au centre, Siddhartha, sur son cheval auquel s’accroche
désespérément Chandaka, est porté dans le ciel par quatre personnages.
Aidé
par les quatre Lokapala, qui en portant le cheval, étouffent
le bruit de ses sabots et entouré de divinités hindoues, Siddhartha quitte le
palais et son destin royal. Les Dieux, par leur présence et leur disposition,
clament déjà l’immensité de son pouvoir. Les arbres fleurissent spontanément, détails intégrant
des éléments de fantastiques à la scène.
Deux
divinités sont facilement reconnaissables au regard de l’analyse des
représentations traditionnelles khmères.
A
gauche, Brahma est identifiable à sa coiffe à trois piques, permettant de
symboliser ses trois ou quatre têtes. Il est le premier membre de la trinité
majeure des dieux hindous qu’il forme avec Vishnou et Shiva. Il est le
créateur, le démiurge. A droite, au visage vert, c’est Indra/Sakra. Au
Cambodge, au contraire de son statut secondaire dans l’hindouisme moderne, il
garde son rang de roi des Dieux et Seigneur du ciel et à ce titre il est
associé à la guerre et à l’orage.
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