
Sofuku aux oies et canards sauvages - Paire de kakemono - Peinture sur soie - Japon - Période Edo (1603-1868) - Inv. 965.2.18. 1 et 2 - Don Vittu de Kérraoul
Ces deux peintures sur soie sont des kakemonos japonais. Ce terme se traduit littéralement par l’expression « choses que l’on suspend ».
Ils
se présentent sous la forme de rouleaux peints de format vertical, qui sont
présentés suspendus sur une cimaise.
Les deux rouleaux possédés par le musée forment une paire indissociable. Le terme japonais approprié est sofuku.
Ce sofuku représente deux vols d’oies et de canards sauvages dans un paysage constitué à gauche d’un petit cours d’eau et d’un petit monticule de terre aux bosquets de fleurs et de plantes. Les calligraphies sont absentes, aucun poème n’accompagne ce paysage.
Ces bosquets sont composés de lespédèzes, de chrysanthèmes, d’herbes de la pampa, d’œillets sauvages, de valérianes et de campanules soient les plantes traditionnelles de l’iconographie automnale japonaise. Les Japonais utilisent le terme akikusa pour les désigner et les rattacher à l’automne.
Ces
peintures ne décrivent pas la nature, elles sont une forme de poésie visuelle.
La
nature sur ses deux kakemono, est rêvée voire fantasmée ou au minimum
idéalisée.
Par son approche lyrique du paysage automnale, le peintre a certainement donné sa version imagée des poèmes de Fujiwara Teika (1162-1241) associés au 8e mois, soit au Japon celui qui marque le début de l’automne.
Huitième
mois : Lespédèzes (Hagi)
« L’automne
est apparu
De
quelle couleur deviendront les quelques feuilles demeurées sur les
lespédèzes lorsque le vent soufflera ?
La
mi-automne avait déjà passé lorsque je regardai vers la porte de pin.
Alors
j’entendis distinctement le cri des oies sauvages. »
Extrait
de « Vingt-quatre Poèmes de Fleurs et Oiseau pour les Douze Mois », Fujiwara
Teika,1214.
Fujiwara
Teika est le plus éminent poète de la forme poétique waka. Ses poèmes sont
devenus une source pour les peintres japonais. Il a défini pour conceptualiser
ses waka l’expression « variations allusives ».
Ce
concept et ce procédé artistique consistent à prendre un élément
(métaphore ou groupe de mots) d’un poème et de le placer dans une nouvelle
composition. Les poètes et les peintres utilisèrent donc cette technique,
l’œuvre créée est nouvelle mais conserve un lien avec la tradition et demeure
familière. Ce lien peut être ténu ou omniprésent, selon les artistes et leurs
attachements à la modernité.
Le
risque était alors de rester fidèle à la tradition et de tendre à une forme de
classicisme visuelle.
Pour
les rouleaux du MAA, nous sommes dans ce cadre, la composition s’inscrit
pleinement dans la tradition d’origine chinoise du Kacho-ga, «
images des fleurs et d’oiseaux ». Les végétaux et les animaux sont,
esthétiquement parlant, traités avec raffinement et précision.
La
technique aide alors à créer le merveilleux et illustre un rapport bienveillant
à la nature.
Cette
expertise naturaliste a attiré les occidentaux au XIXe siècle et a été un des
thèmes majeurs du développement du japonisme en Europe. Ce thème
est également présent sur le senmen (éventail peint) de la
collection du Musée des Arts Asiatiques.
Enfin, ces deux rouleaux ont certainement été réalisés par un artiste proche de l’école Kano, école stylistique apparue au XVe siècle et qui continue d’exister.
On
retrouve, dans la composition et surtout les proportions plantes-animaux,
la principale caractéristique stylistique de cette école, à savoir une
représentation démesurément grande de la nature par rapport aux animaux.
Considérées
généralement comme des œuvres décoratives par les occidentaux, les peintures de
« Fleurs et Oiseaux » étaient surtout le reflet, en Extrême- Orient,
d’une maîtrise technique raffinée venant servir un art codifié de la métaphore.
Les œuvres du Kacho-ga soulignent avant tout le caractère
éphémère, de la nature, de la beauté et de la vie.
Le
lien avec les vanités de la peinture classique occidentale est évident, ces
symboles expriment la temporalité et la précarité de l’existence.
Mais
la base de cet art japonais demeure littéraire et reste ancrée dans une
tradition poétique ancienne.
Pour
preuve, dès le début du Xe siècle (époque Heian), Ki no Tsurayuki (872-945),
préfacier du Recueil de poèmes de jadis et naguère, une anthologie de
poèmes courts waka, commandé par l’empereur Daigo en 905, définissait ce lien
entre la poésie et la nature, propre à la culture japonaise :
«La
poésie du Yamato [japonaise] a pour racine le cœur humain et pour feuilles des
milliers de paroles. En ce monde, où les hommes vont sous les occupations les
plus touffues, la poésie c’est de laisser s’exprimer son cœur à travers les
choses qu’on voit et qu’on entend. C’est dans les fleurs du chant du rossignol,
c’est sur les eaux la voix de la grenouille : à les entendre, est-il vivant qui
vive sans chanter son chant ? Ce qui sans effort émeut ciel et terre ; suscite
la pitié aux démons et aux dieux invisibles ; imprègne de douceur liens d’hommes
à femme ; distrait le cœur des farouches guerriers ; voilà notre poésie ».

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